Secrets de statue – Kléber
7 mai 2021, par Remy
Le centre-ville de Strasbourg abrite quelques jolies statues auxquelles les habitants ne prêtent, parfois, plus guère attention. C’est sûr qu’à force de passer à côté tous les jours, on les a intégrées dans nos routines et on ne les voit plus… C’est bien dommage, car elles ont des choses à raconter.
Aujourd’hui, levons le voile sur quelques éléments de la statue du général Kléber, sur la place éponyme. Pour ceux qui auraient déjà suivi notre Surprise Tour consacré à ces célébrités de pierre, ce sera une petite piqûre de rappel ; pour les autres, un avant-goût qui, j’espère, vous donnera envie de vous joindre à l’un de nos Free Tours quand nous aurons à nouveau le droit de sortir !
Un Strasbourgeois de renom
Jean-Baptiste Kléber naît à Strasbourg le 9 mars 1753. Il souhaite faire carrière dans l’armée et s’engage pour la première fois en 1769. Seulement voilà, il n’a que 16 ans et sa mère à d’autres projets pour lui : le voici donc de retour pour reprendre ses études et devenir architecte.
Qu’à cela ne tienne, il repart pour en 1777 pour l’armée et finit par intégrer l’armée autrichienne. Le temps passe et la Révolution française rebat les cartes politiques : les amis d’hier peuvent devenir les ennemis d’aujourd’hui. Ainsi, la route de Kléber croise à nouveau celle des Autrichiens en 1796… cette fois-ci pour les combattre ! C’est la bataille d’Altenkirchen et le sujet du bas-relief à gauche du socle quand on fait face à sa statue.
Malgré ses faits d’armes, Kléber n’est plus en odeur de sainteté durant le Directoire et quitte à nouveau l’armée en 1797. C’était sans compter sur l’ascension de Napoléon Bonaparte, en compagnie duquel Kléber va revenir aux armes une ultime fois, dans le cadre de la campagne d’Egypte.
C’est là qu’il s’illustre à la bataille d’Héliopolis, représentée sur le bas-relief droit du socle.
Au sortir de la campagne d’Egypte, Napoléon rentre en France (août 1799) et laisse le commandement de l’armée à Kléber. Les Britanniques, aux aguets, n’attendent que l’occasion d’attaquer les Français. Pas fou, Kléber veut s’extirper noblement de cette situation et négocie le départ des troupes françaises avec l’Amiral Smith : c’est la convention d’El Arich. Mais un autre gradé britannique, l’Amiral Keith, ne l’entend pas de cette oreille et refuse d’honorer les termes de cet accord. Cela nous amène à cette fameuse bataille d’Héliopolis, remportée par les Français et sur laquelle nous reviendrons un peu plus loin.
Kléber n’aura cependant pas l’occasion de savourer son triomphe très longtemps. Le 14 juin 1800, il doit faire face à son destin, sous les traits d’un étudiant syrien, Soleyman el-Halaby, qui l’assassine d’un coup de poignard. La légende du général Kléber est définitivement associée au pays des pharaons, ce que nous rappelle le petit sphinx de pierre aux pieds de sa statue.
Le retour de sa dépouille au pays se fait d’abord dans la plus grande discrétion, au point qu’on “abandonnera” son cercueil pendant 18 ans au Château d’If, près de Marseille. Il ne reviendra à Strasbourg que sous Louis XVIII et presque tous ses restes finiront par être déposés dans un caveau sous la statue, en 1838. “Comment ça, “presque” tous ses restes ?!” vous dites-vous, je vous entends d’ici ! Eh bien figurez-vous qu’en tant qu’héros militaire, son cœur a l’honneur de reposer aux Invalides, à Paris.
Un meneur d’hommes charismatique
Kléber n’était pas n’importe qui, si l’on en croit la description qu’en fait Napoléon lui-même : “Courage, conception, il avait tout […]. Sa mort fut une perte irréparable pour la France et pour moi. C’était Mars, le dieu de la guerre en personne.”
Si cela n’est pas suffisant pour vous convaincre, revenons comme promis à la bataille d’Héliopolis. Souvenez-vous : la volonté d’une retraite honorable, un accord trouvé, qui ne sera pas respecté par l’Amiral Keith… Ce petit bout de papier que tient la statue de Kléber dans sa main droite et qui vraisemblablement lui déplaît au point qu’il fasse la moue pour l’éternité, c’est la demande de reddition de Keith !
C’est bien mal connaître le général cependant que de croire qu’il va obéir à une telle requête. Une seule issue : se battre. Les Français sont clairement en infériorité numérique (11 000 Français face à 40 000 Ottomans, alliés aux Britanniques). Mais Kléber va trouver les mots qui les mènera à la victoire, fidèlement reproduits sur le bas-relief de droite : “On ne répond à une telle insolence que par des victoires ; soldats, préparez-vous à combattre”. La suite, vous la connaissez : une victoire de plus pour Kléber, et la mort six mois plus tard.
Une statue problématique
La statue de Kléber est érigée en 1840. C’est le travail de Philippe Grass, également auteur de la statue d’Adrien de Lezay-Marnesia et spécialiste de la re-création de statues détruites durant la Révolution.
Quand la statue est inaugurée, 40 ans jour pour jour après le décès de Kléber, nous sommes en pleine Monarchie de Juillet. Les Français se cherchent une unité nationale, autour de symboles forts et rassembleurs. On vise la réconciliation et Kléber, héros de l’Empire napoléonien, n’est pas le candidat idéal. On va donc attirer l’attention sur une autre statue, elle aussi bien connue des Strasbourgeois : celle de Gutenberg. Son inauguration à elle fera l’objet de grandes festivités et verra même défiler un cortège industriel, auquel prennent part les corporations de la ville. De quoi ne pas attirer trop d’attention sur la place voisine et sa statue de Kléber moins consensuelle.
Est-ce à dire que la statue de Gutenberg n’a posé quant à elle aucun souci ? Absolument pas, mais pour en savoir plus, il faudra venir nous voir en visite 😉