Le tramway, une première vie
4 novembre 2020, par Leo
Vous avez cliqué sur cet article, curieux de ce que vous pouviez découvrir ? Vous êtes peut-être d’ailleurs à l’instant même passager dudit tram, annoncé dans le titre.
Ah Strasbourg ! Et Strasbourg n’est pas sans son tram. Nous avons tous des souvenirs de tram, des conversations surprises à la volée, des regards perdus dans le vague, la bouffée de chaleur réconfortante lorsque les portes se referment derrière nous à l’époque des frimas (si tant est qu’il y en ait encore), l’odeur de bière flottante un samedi soir, les éclats de voix qui surprennent, un téléphone pas très civil, le regard acéré d’un contrôleur, un sommeil volé entre deux annonces bilingues d’arrêt que l’on connaît par cœur, une foule tellement dense aux heures de pointes que s’agripper est superflu, le soleil couchant inondant un côté de la rame…
Des scènes de quotidien d’une histoire qui nous accompagne, avec ses rebondissements, ses victoires et défaites, son âme. N’hésitez pas à nous raconter vos anecdotes en commentaire !
Nos vénérables se rappellent encore de sa première épopée, et peut-être ont-ils aussi fait partie des cent mille qui ont salué le baroud d’honneur de la dernière rame en 1960. Mais avant un déclin, il y a une première naissance.
Nous sommes en 1870. Strasbourg vient de passer prussienne, et le Kaiser ne compte pas laisser celle-ci dans son état de petite bourgade postmédiévale. Un plan d’urbanisation d’une ambition sans précédent est imaginé, on compte créer des quartiers entiers, des avenues, des immeubles, des parcs, des monuments : la Neustadt voit le jour. Et une ville moderne, à la pointe, se doit de proposer un transport adéquat pour une population en plein boom. Mais comment faisaient-ils avant ? Eh bien il y a bien les fiacres, dont les films historiques nous donnent une belle vision, taxis de l’époque toujours trouvables sur la place Kléber, mais il s’agissait d’un service cher que ne pouvait se payer que les aisés.
A partir de 1860 se lance une nouvelle pratique à Strasbourg, répandue depuis peu dans les grandes villes : les omnibus à chevaux. En simple, il s’agit d’un fiacre à dix, voire vingt places et proposant ses services aux passants. Autant vous dire irrégulier et pas super confortable ; imaginez-vous assis dans cette boîte en bois montée sur des roues cerclées d’acier, rebondissant sur nos pavés inégaux. Sauf que la Prusse du Kaiser voit grand, voit loin : on crée en 1877 une première entreprise de transport strasbourgeoise pour un service pour tous, des horaires réguliers, des distances considérables, des arrêts fixes, la naissance de notre transport urbain moderne. Bon, la locomotion est encore à l’ancienne, tout est encore à traction équine, on nourrit le moteur à l’avoine.
Pour compenser les longues distances des faubourgs, on installe quand même parfois la locomotive à vapeur, le charbon fait le travail. Mais la fée électricité étend ses ailes à tous les niveaux, et son contact transforme nos chevaux en lignes tendues à travers la ville. Le centre ville et la connexion à Kehl sont déjà convertis à l’électrique au crépuscule du XIXe, la plaque tournante de tout ce système étant comme aujourd’hui encore la place de l’Homme de Fer. Tout le monde prend la Straßenbahn, même la Poste qui fait des convois postiers ! Les rues s’adaptent et se transforment, au cataclop des percherons se substitue le roulement lourd des rames, ponctué des sifflets au départ. De nouvelles lignes sont posées d’années en années, enrichissant constamment la toile.
Mais un lourd spectre à l’horizon va changer la donne ; la Grande Guerre s’annonce, et balaie d’un revers implacable toute évolution pendant son temps.
Quatre ans et des centaines de milliers de corps plus tard, la vie reprend ses droits et les Années Folles témoignent de l’exubérance du monde. En Alsace, le vent a changé : la ligne vers Kehl est fermée, la partie du réseau côté allemand est vendue au pays de Bade et on s’applique à (re)devenir français. La compagnie de transport traduit son nom et devient…notre CTS (Compagnie des Transports Strasbourgeois) !
Notre beau tramway strasbourgeois s’offre quelques dernières extensions de lignes dans les années 18/19 et en 27, avant de sentir le vent tourner. En 1937, les premiers (omni)bus à essence pétaradent sur les boulevards de la Victoire, autour de la place désormais de la République. La guerre donne un dernier sursaut de grande utilisation : les Strasbourgeois sont évacués dans ses wagons de bois et de métal par dizaines de milliers pour commencer un long périple jusque dans le sud-ouest. Puis la fin de la Deuxième et les Trente Glorieuses qui ont suivi poussent à la modernité, qui se veut véhiculée. Les routes se parent de macadam frais, les prix deviennent attractifs, on veut bouger maintenant qu’on en est capable, le monde de l’automobile s’annonce.
A peine quelques décennies plus tard, ligne par ligne, le tram disparaît et fait place à des places de stationnements et des arrêts de bus, pour voir rouler son dernier wagon en 1960. Mais ce n’est qu’une première partie de l’histoire, et le phénix renaîtra de ses cendres plus de trente ans plus tard.
Cher lecteur, cher utilisateur du tram, si tu as envie de regarder passer des wagons en discutant et continuer à révéler les pages d’histoire de notre ville, n’hésite pas à faire un arrêt à nos stations Free Tours ou à nous laisser un commentaire !