La cigogne
6 mai 2019, par Gabriel
Aujourd’hui j’avais envie de vous parler un peu de ce totem de notre région qu’est la cigogne. Tout le monde connaît les cigognes, et ce depuis tout bébé. N’est-ce pas la cigogne qui livre les bébés ? En tout cas, de nombreuses légendes (ou contes?) nous expliquent cette version de la naissance. Et vu que la vérité est bien moins romantique selon moi, nous nous en tiendrons à cette version que nous développerons plus tard.
D’abord, quelques mots sur ce bel oiseau qui peuple notre plaine du printemps à l’automne.
La cigogne blanche (ciconia ciconia) est un échassier répandu dans toute l’Europe jusqu’au XIXe siècle. L’industrialisation va faire baisser sa population, et aujourd’hui on va les retrouver surtout vers l’est (Pologne (50000), Ukraine (30000), pays baltiques (25000)…) et en Espagne (30000). La France est loin derrière avec un tout petit millier, et la quasi totalité d’entre elles nichent en Alsace. A savoir que si la cigogne est un symbole de l’Alsace, nous n’en avons pas le monopole. C’est aussi par exemple un symbole de la Pologne, pays qui en héberge environ 20% de la population mondiale avec plus de cinquante mille livreuses de bébés. En même temps, cigogne / Pologne ça rime, il doit y avoir une logique quelque part…
Ce bel oiseau mesure entre 1m et 1,15m de haut, de 1,90m à 2,15m d’envergure, et pèse de 3kg à 4,4kg. Elles vivent en couple, et très fidèles, elles ne connaissent généralement pas le divorce, et reviennent chaque année au même endroit pour refaire leur nid. Un nid forcément grand au vu de la taille de l’animal, il mesure en moyenne de 1,20 à 1,40m de diamètre, mais le plus incroyable est son poids : 500kg en moyenne ! Et le record est attribué à celui trouvé sur la Porte de France à Turckheim : 1,2 tonnes !!! Avouez qu’elles ne font pas semblant…
D’ailleurs, si vous voulez voir un nid de cigogne en direct, confinement oblige suivez ce petit lien qui vous emmène directement à Sarralbe en Moselle : https://www.sarralbe.fr/webcam.html.
Hé revenez ! J’ai pas fini de vous raconter des trucs moi ! (On vous emmènera en voiture si vous voulez 😉 ) Une fois le confinement passé, vos pourrez aussi vous rendre au Parc de l’Orangerie de Strasbourg où certaines familles ont décidé d’y être sédentaires, leur nourriture ne disparaissant pas en hiver (réchauffement climatique oblige).
La livraison de bébés
Maintenant qu’on a un peu plus cerné l’animal, parlons de son métier. Comme évoqué précédemment, la cigogne a fait de la livraison son métier depuis bien longtemps, et son colis de prédilection : le bébé. Je vais donc maintenant vous faire part de ma version de cette légende. D’abord, vous devez savoir que quand les gens meurent, leur âme monte au ciel, et lorsque les nuages finissent par pleurer, les âmes accompagnent la pluie jusqu’au sol, et encore bien plus bas…
Tous le monde sait bien sûr que sous notre belle cathédrale de Strasbourg se trouve un lac souterrain, c’est là que les âmes terminent leur course descendante. Vous savez peut-être aussi que dans la cathédrale, le long du bas-côté sud de la nef, il y avait un puits : le « Kindelsbrunnen » (puits aux enfants) ou « Taufbrunnen » (fontaine baptismale). Ce puits avait une particularité très intéressante, car il menait directement au lac en question. Là se trouvait une petite barque, personne à bord, quand bien-même, on pouvait entendre le bruit des rames…
En fait, il y a bien un passeur à bord, mais il est invisible aux vivants (c’est un défunt qui me l’a dit lors d’une séance de spiritisme, promis!). Il a l’apparence d’un vieil homme avec une barbe blanche et une cape rouge. Ça me rappelle un autre vieillard qui se balade en traîneau et livre un autre type de colis, mais ce n’est pas le propos ici ! Revenons à nos moutons… heu… cigognes ! Promis, ça vient.
À bord de son embarcation se trouve sa sélection d’âmes, celles qui attendent de devenir des futurs enfants ! Et c’est quand la cigogne entre dans la cathédrale que le vieil homme passe les petits bébés à travers le puits. Notre chère cigogne peut donc dès lors livrer les bébés, partout dans le monde !
La chose à retenir de cette histoire, c’est bien évidemment un consensus au sein de la communauté scientifique : tous les bébés du monde viennent de Strasbourg ! 😀
Quoi de plus naturel à bien y penser, que de naître au sein de celle qu’on appelle affectueusement « Môman », n’est-ce pas ?
Ça vous en bouche un coin hein ? Mais ce n’est pas tout, il faut que je vous en dise un peu plus sur ce fameux vieillard. C’est un alsacien bien sûr, et pour être choisies, les âmes le hélaient d’un très simple et direct : « Hol mich ! » (emmène-moi). J’en déduis très facilement que tout le monde, un jour ou l’autre, a aussi su parler notre dialecte, sinon ils n’auraient pas été choisis, à l’évidence… D’ailleurs, les cigognes ça craquette en alsacien, c’est bien connu, et ça s’entend à leur accent un peu bourru.
Un peu de sérieux
Bon, soyons effectivement un peu plus sérieux. Cette légende et ses semblables prennent leur origine dans la culture germanique avec la déesse Holda.
Déesse de l’amour et de la fertilité, elle personnifie les forces productives de la terre. Elle renverrait dans le monde des vivants les âmes des défunts en les réincarnant. Les Germains font de la cigogne sa messagère, et en tant qu’émissaire elle serait chargée d’apporter des bébés aux parents qui en auraient exprimé le désir. Après avoir passé commande, la future maman doit mettre quelques morceaux de sucre sur le rebord de la fenêtre pour attirer la cigogne. L’oiseau va alors chercher le bambin auprès d’une source ou d’une mare, là où les lutins ramènent des profondeurs de la terre les âmes tombées du ciel avec la pluie, et réincarnées en nouveaux-nés. Il semble que les cigognes, fréquentant les zones humides pour leurs besoins alimentaires, aient ainsi remplacé au cours du temps les lutins, qui auparavant étaient préposés à la livraison des bébés. Vous remarquerez que ces lutins existent toujours dans ma version de la légende, incarnés par le vieil homme à la barque.
Voici un petit poème de Jean Frédéric-Wentzel, un wissembourgeois du XIXè siècle, qui nous laisse bien comprendre l’attrait de la cigogne :
Storick, Storick, stipper di Bein,
Bring de Mamme a Bubbela heim,
Eins wo hielt, eins wo lacht
Eins, wo ins Hafela macht.
Storick, Storick, stipper di Bein,
Bring m’r e Korb voll Wegga heim,
Bring fer mich oi eina mit.
Awer fer d’beesi Büewa nit.
(Cigogne, Cigogne cabre-toi
Apporte à maman un joli marmot,
Un qui pleure, un qui rit,
Un qui fait bien dans le pot.
Cigogne, Cigogne cabre-toi,
Apporte-moi un panier de petits pains,
Un pour moi, un pour toi,
Mais pour les méchants garçons aucun.)
Une autre histoire raconte qu’une cigogne volait au-dessus de la croix lors de la crucifixion de Jésus, devenant ainsi un symbole de résurrection et de régénération. C’est pour ça qu’aujourd’hui encore, si une cigogne installe son nid au-dessus de votre maison elle devient votre porte-bonheur pour à peu près tout et n’importe quoi : fécondité et fidélité en premier lieu, mais aussi richesse, santé, protection contre la foudre, bénédiction de la ville entière où elle a élu domicile, j’en passe et des meilleures ! C’est probablement parce que le bel échassier débarrassait les champs et marécages des serpents et d’autres animaux peu appréciés par les habitants qu’on lui a doucement mais sûrement attribué toutes ces qualités.
Quoi qu’il en soit, la légende de la cigogne s’est aujourd’hui répandue dans toute la France, l’Europe et le monde entier ! Partout dans le monde les gens savent bien que c’est l’oiseau migrateur qui livre les bébés.
Les gardiennes de la cathédrale
Cela conté, je dois bien vous concéder que les cigognes, dans la cathédrale, ce n’est pas tous les jours qu’on les aperçoit. Mais sur la façade de Môman, il y en a toujours quatre qui nous surveillent… Elles surveillent quatre personnages en particulier : les quatre cavaliers de la façade ouest, juste en dessous de la rosace. Ces cavaliers sont des rois et empereurs importants dans notre histoire locale (je ne m’étendrai pas là-dessus, si vous voulez en savoir plus, il faudra nous demander lors de nos Free Tours – je suis très mesquin, je sais), et si vous regardez un tout petit peu au-dessus de leurs têtes, vous y verrez perchées les quatre cigognes sus-nommées.
En réalité, au même titre que de nombreux animaux comme le chien, le corbeau ou même le dauphin, la cigogne est considérée comme un animal psychopompe. Oui, vous aurez appris un mot aujourd’hui, vous pourrez briller quand vous retrouverez la civilisation… 😉
En gros, un psychopompe est un conducteur d’âme, ce qui rejoint ce que je vous « expliquais » un peu plus haut, et on les aurait placées là pour guider les âmes de ces chers rois vers l’au-delà.
C’est mignon, c’est romantique, mais ça manque de fun à mon sens… Je vais donc vous faire part de mon interprétation, bien plus intéressante et toujours sans aucune once de chauvinisme, cela va de soi.
Nous aurons remarqué sans peine que la cigogne, totem de l’Alsace, se trouve au-dessus des rois. Le sens de cette présentation est pour moi évident. Ce n’est pas le roi qui surveille l’Alsace, mais c’est bien, comme indiqué en début de chapitre, la cigogne, et donc l’Alsace qui surveille les rois, car comme chacun sait, l’Alsace est bien au-dessus de tout ça !
Maintenant vous en savez un peu plus sur l’un des 5C de l’Alsace ! (Cathédrale, Choucroute, Cigogne, Coiffe, Colombage).